Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 1.djvu/331

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porté la douleur dans le sein de leurs familles et de leurs amis, qui répandaient des larmes en secret. La mort de Papinien, préfet du prétoire, fut pleurée comme une calamité publique. Durant les sept dernières années du règne de Sévère, ce célèbre jurisconsulte avait occupé le premier poste de l’état, et avait guidé, par ses sages conseils, les pas de l’empereur dans les sentiers de la justice et de la modération. Sévère, qui connaissait si bien ses talens et sa vertu, l’avait conjuré à son lit de mort de veiller à la prospérité de l’empire, et d’entretenir l’union entre ses fils[1]. Les efforts généreux de Papinien ne servirent qu’à enflammer la haine violente que Caracalla avait déjà conçue contre le ministre de son père. Après le meurtre de Géta, le préfet reçut ordre d’employer toute la force de son éloquence pour prononcer, dans un discours étudié, l’apologie de ce forfait. Le philosophe Sénèque, dans une circonstance semblable, n’avait point rougi de vendre sa plume au fils et à l’assassin d’Agrippine[2], et d’écrire au sénat en son nom. Papinien refusa d’obéir au tyran : « Il est plus aisé de commettre un parricide que de le justifier. » Telle fut la noble réponse de cet illustre personnage, qui n’hésita pas entre la perte de la vie et celle de l’honneur[3]. Une vertu si intrépide, qui s’est soutenue pure et sans tache au

  1. On prétend que Papinien était parent de l’impératrice Julie.
  2. Tacite, Ann., XIV, II.
  3. Hist. Aug., p. 88.