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PRÉFACE DE L’ÉDITEUR.

ment que, par un juste et beau privilége, les erreurs du génie sont fécondes en vérités ; il s’égare par moments dans la route qu’il ouvre ; mais elle est ouverte, et d’autres y marchent après lui avec plus de sûreté et de circonspection. Gibbon, moins fort, moins profond, moins élevé que Montesquieu, s’empara du sujet dont celui-ci avait indiqué la richesse et l’étendue ; il suivit avec soin le long développement et l’enchaînement progressif de ces faits dont Montesquieu avait choisi et rappelé quelques-uns, plutôt pour y rattacher ses idées que pour faire connaître au lecteur leur marche et leur influence réciproques. L’historien anglais, éminemment doué de cette pénétration qui remonte aux causes, et de cette sagacité qui démêle parmi les causes vraisemblables celles qu’on peut regarder comme vraies ; né dans un siècle où les hommes éclairés étudiaient curieusement toutes les pièces dont se compose la machine sociale, et s’appliquaient à en reconnaître la liaison, le jeu, l’utilité, les effets et l’importance ; placé par ses études et par l’étendue de son esprit, au niveau des lumières de son siècle, porta dans ses recherches sur la partie matérielle de l’histoire, c’est-à-dire sur les faits eux-mêmes, la critique d’un érudit judicieux ; et dans ses vues sur la partie morale, c’est-à-dire sur les rapports qui lient les événements entre eux et les acteurs aux événements, celle d’un philosophe habile. Il savait que l’histoire, si elle se borne à raconter des faits, n’a plus que cet intérêt de curio-