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HISTOIRE DE LA DÉCADENCE

cevoir la création de la matière, l’ouvrier, dans la philosophie de Zénon, n’est pas assez distingué de l’ouvrage. D’un autre côté, le dieu intellectuel de Platon et de ses disciples ressemble plutôt à une pure conception idéale qu’à une substance réellement existante. Les opinions des épicuriens et des académiciens étaient au fond moins religieuses : la science modeste des derniers ne leur permettait pas de prononcer ; ils doutaient d’une providence que l’ignorance positive des premiers leur faisait entièrement rejeter. Un esprit d’examen, excité par l’émulation et nourri par la liberté, avait divisé les écoles publiques de la philosophie en autant de sectes se combattant les unes les autres ; mais toutes s’accordaient à n’ajouter aucune foi aux superstitions du peuple. Ce grand principe leur servait de base commune, et elles s’empressaient de le communiquer aux jeunes élèves, qui, remplis d’une noble émulation, accouraient en foule à Athènes et dans les autres contrées de l’empire où l’on cultivait les sciences. En effet, comment un philosophe aurait-il pu reconnaître l’empreinte de la Divinité dans les contes puériles des poètes et dans les traditions informes de l’antiquité ? Pouvait-il adorer comme dieux ces êtres imparfaits, qu’il aurait méprisés comme mortels ? Cicéron se servit des armes de la raison et de l’éloquence pour combattre les systèmes absurdes du paganisme : mais la satire de Lucien était bien plus faite pour les détruire : aussi ses traits eurent-ils plus de succès. Un écrivain répandu dans le monde ne se serait pas hasardé à jeter du ridicule sur des divinités qui n’auraient pas déjà été