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HISTOIRE DE LA DÉCADENCE

sité seule pouvait justifier. Mais lorsque les principales nations de l’Asie, de l’Europe et de l’Afrique

    dans les traitemens qu’ils essuyaient ; il fait considérer ces traitemens cruels comme pouvant être justifiés par la nécessité. Il relève ensuite, avec une exactitude minutieuse, les plus légers adoucissemens d’une condition si déplorable ; il attribue à la vertu ou à la politique des souverains l’amélioration progressive du sort des esclaves, et il passe entièrement sous silence la cause la plus efficace, celle qui, après avoir rendu les esclaves moins malheureux, a contribué à les affranchir ensuite tout-à-fait de leurs souffrances et de leurs chaînes, le christianisme. Il serait aisé d’accumuler ici les détails les plus effrayans, les plus déchirans, sur la manière dont les anciens Romains traitaient leurs esclaves ; des ouvrages entiers ont été consacrés à la peindre ; je me borne à l’indiquer : quelques réflexions de Robertson, tirées du discours que j’ai déjà cité, feront sentir que Gibbon, en faisant remonter l’adoucissement de la destinée des esclaves à une époque peu postérieure à celle qui vit le christianisme s’établir dans le monde, n’eût pu se dispenser de reconnaître l’influence de cette cause bienfaisante, s’il n’avait pris d’avance le parti de n’en point parler.
    « À peine, dit Robertson, une souveraineté illimitée se fut-elle introduite dans l’Empire romain, que la tyrannie domestique fut portée à son comble : sur ce sol fangeux crûrent et prospérèrent tous les vices que nourrit chez les grands l’habitude du pouvoir, et que fait naître chez les faibles celle de l’oppression… Ce n’est pas le respect inspiré par un précepte particulier de l’Évangile, c’est l’esprit général de la religion chrétienne, qui, plus puissant que toutes les lois écrites, a banni l’esclavage de la terre. Les sentimens que dictait le christianisme étaient bienveillans et doux ; ses préceptes donnaient à la nature humaine une telle dignité, un tel éclat, où ils l’arrachèrent à l’esclavage déshonorant où elle était plongée.
    C’est donc vainement que Gibbon prétend attribuer uniquement au désir d’entretenir toujours le nombre des esclaves la conduite plus douce que les Romains commencèrent à adopter à leur égard du temps des empereurs. Cette cause avait agi jusque-là en sens contraire : par quelle raison aurait-elle eu tout à coup une influence opposée ? « Les maîtres, dit-il, favorisèrent les mariages entre leurs esclaves ; … et les sentimens de la nature, les habitudes de l’éducation, contribuèrent à adoucir les peines de la servitude. » Les enfans des esclaves étaient la propriété du maître, qui pouvait en disposer et les aliéner comme ses autres biens ; est-ce dans une pareille situation, sous une telle