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DE L’EMPIRE ROMAIN. CHAP. II.

portés à ces actes de générosité que par la vanité et par l’avarice : aussi les lois crurent-elles plus nécessaire de restreindre que d’encourager une libéralité prodigue et aveugle, qui aurait pu dégénérer en un abus très-dangereux[1]. Selon la jurisprudence ancienne, un esclave n’avait point de patrie ; mais dès qu’il était libre, il était admis dans la société politique, dont son patron était membre. En vertu de cette maxime, la dignité de citoyen serait devenue indistinctement le partage de la multitude : on jugea donc à propos d’établir d’utiles exceptions ; et cette distinction honorable fut accordée seulement, et avec l’approbation du magistrat, aux esclaves qui s’en étaient rendus dignes, et qui avaient été solennellement et légalement affranchis : encore n’obtenaient-ils que les droits privés des citoyens, et ils étaient rigoureusement exclus des emplois civils et du service militaire. Leurs fils étaient pareillement incapables de prendre séance dans le sénat, quels que pussent être leur mérite et leur fortune ; les traces d’une origine servile ne s’effaçaient entièrement qu’à la troisième ou quatrième génération[2]. C’est ainsi que, sans confondre les rangs, on faisait entrevoir, dans une perspective éloignée, un état libre et des honneurs à ceux que l’orgueil et le préjugé mettaient à peine au rang de l’espèce humaine.

  1. Voy. une autre dissertation de M. de Burigny sur les affranchis romains, dans le XXXVIIe vol. de la même académie.
  2. Spanheim, Orb. rom., l. I, c. 16, p. 124, etc.