Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 1.djvu/271

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
263
DE L’EMPIRE ROMAIN. CHAP. V.

introduisant les gardes du prétoire dans le palais et dans le sénat, les empereurs leur apprirent à connaître leurs propres forces et la faiblesse de l’administration. Bientôt ces soldats envisagèrent avec un mépris familier les vices de leurs maîtres, et ils n’eurent plus pour la puissance souveraine cette vénération profonde que la distance et le mystère peuvent seuls inspirer dans un gouvernement arbitraire. Au milieu des plaisirs d’une ville opulente, leur orgueil se nourrissait du sentiment de leur irrésistible force ; il eût été impossible de leur cacher que la personne du monarque, l’autorité du sénat, le trésor public, et le siége de l’empire étaient entre leurs mains. Dans la vue de les détourner de ces idées dangereuses, les princes les plus fermes et les mieux établis se trouvaient forcés de mêler les caresses aux ordres, et les récompenses aux châtimens. Il fallait flatter leur vanité, leur procurer des plaisirs, fermer les yeux sur l’irrégularité de leur conduite, et acheter leur fidélité chancelante par des libéralités excessives. Depuis l’élévation de Claude, ils exigèrent ces présens comme un droit légitime à l’avènement de chaque nouvel empereur[1].

  1. Claude, que les soldats avaient élevé à l’empire, fut le premier qui leur fit des largesses : il leur donna à chacun quina dena, H. S., cent vingt liv. sterl. (Suétone, Vie de Claude, c. 10.) Lorsque Marc-Aurèle monta paisiblement sur le trône avec son collègue Lucius Verus, il donna à chaque prétorien vicena, H. S., cent soixante liv. st. (Hist. Auguste, p. 25 ; Dion, liv. LXXIII, p. 1231). Nous pouvons