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NOTICE SUR LA VIE

à Londres, pour un homme of fashion (un homme du monde) que ne pouvaient l’être celles d’un jeune étudiant dans les montagnes de la Suisse, tirent du goût qu’il conserva assez long-temps pour les femmes un simple amusement ; aucune ne vint balancer dans son esprit l’opinion qu’il avait conçue d’abord de mademoiselle Curchod, et il retrouva avec elle, dans tous les temps de sa vie, cette douce intimité, suite d’un sentiment tendre et honnête, que la nécessité et la raison ont pu surmonter, sans que d’aucune part il y ait eu lieu aux reproches ou à l’amertume. Il la revit à Paris, en 1765, mariée à M. Necker, et jouissant de la considération qu’on devait à son caractère autant qu’à sa fortune : il peint gaiement dans ses lettres à M. Holroyd la manière dont elle l’a reçu. « Elle a été, dit-il, très-affectueuse pour moi, et son mari particulièrement poli. Pouvait-il m’insulter plus cruellement ? me prier tous les soirs à souper, s’aller coucher et me laisser seul avec sa femme, c’est assurément traiter un ancien amant sans conséquence. » Gibbon n’était pas fait pour inquiéter beaucoup un mari sur les souvenirs qu’il aurait pu laisser ; capable de plaire par son esprit, et d’intéresser par un caractère doux et honnête, il était peu propre à exalter vivement l’imagination d’une jeune personne : sa figure, devenue remarquable par sa monstrueuse grosseur, n’avait jamais présenté d’agrémens ; ses traits étaient spirituels, mais sans caractère comme sans noblesse, et sa taille avait toujours été disproportionnée, ce M. Pavilliard, dit lord Sheffield dans une de ses notes aux Mémoires de Gibbon, m’a représenté sa surprise lorsqu’il contempla devant lui M. Gibbon, cette petite figure fluette, avec une grosse tête qui disputait et employait en faveur du papisme les meilleurs argumens dont on se fût servi jusque alors. » L’état de maladie où il avait passé presque toute son enfance, ou les habitudes qui en avaient été la suite, lui avaient