Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 11.djvu/333

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tres de crédulité, et doute même que les régions Cisalpines (tel est le nom que doit leur donner un Français) pussent fournir à des émigrations si incroyables. L’historien sceptique, encore plus calme, se rappellera qu’un grand nombre de ces pieux volontaires ne virent jamais Nicée ni Constantinople. L’influence de l’enthousiasme est capricieuse et peu durable. Une partie des pèlerins fut retenue par la raison ou la timidité, par la faiblesse ou par l’indigence ; d’autres revinrent sur leurs pas, rebutés par les obstacles de la route, d’autant plus insurmontables que ces fanatiques ignorans ne les avaient pas prévus. Les ossemens d’un grand nombre couvrirent les contrées sauvages de la Hongrie et de la Bulgarie. Le sultan des Turcs tailla en pièces l’avant-garde ; et la perte de la première expédition a déjà été évaluée à trois cent mille tués ou morts de fatigue, et par suite de l’influence du climat. Cependant il en restait encore, et il en arrivait continuellement des troupes si nombreuses, qu’ils partageaient eux-mêmes à cet égard l’étonnement des Grecs. La copieuse énergie de la langue dont se sert la princesse Anne semble ne pas suffire à ses efforts[1]. Les nuées de sauterelles, les feuilles et les fleurs, les sables de la mer

  1. Alexiad., l. X, p. 283-305. Sa ridicule délicatesse se plaint de la bizarrerie des noms inarticulés, et au fait, il y en a peu dans ce nombre qu’elle n’ait travaillé à défigurer avec cette orgueilleuse ignorance si ordinaire et si précieuse aux peuples civilisés. Je n’en citerai qu’un seul exemple ; elle convertit le nom de Saint-Gilles en Sangeles.