Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 11.djvu/352

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

marcs d’argent pour le prix d’une chèvre[1], et quinze marcs pour celui d’un chameau étique, le comte de Flandre fut réduit à mendier un dîner, et Godefroi à emprunter un cheval ! Soixante mille chevaux qui avaient passé la revue dans le camp, se trouvèrent, avant la fin du siége, réduits à deux mille ; et à peine deux cents étaient en état de servir dans un jour de bataille. L’affaiblissement du corps et les terreurs de l’imagination éteignirent l’enthousiasme des pèlerins, et l’amour de la vie[2] l’emporta sur tous les sentimens de l’honneur et de la religion. Parmi les chefs, on peut compter trois héros sans peur et sans reproche : Godefroi de Bouillon était soutenu par sa piété magnanime ; Bohémond par l’ambition et l’intérêt personnel ; et Tancrède déclara, comme un vrai chevalier, qu’aussi long-temps qu’il serait suivi de quarante compagnons, il n’abandonnerait point l’expédition de la Palestine. Mais le

  1. Le prix d’un bœuf monta de cinq solidi (quinze schellings) à deux marcs (4 liv. sterling), et ensuite beaucoup plus haut ; un chevreau ou un agneau, d’un schelling à 15 ou environ 18 liv. tourn. Dans la seconde famine, une miche de pain ou la tête d’un animal se vendaient une pièce d’or. On pourrait citer encore beaucoup d’exemples ; mais ce sont les prix ordinaires, et non pas les prix extraordinaires qui méritent l’attention du philosophe.
  2. Alii multi, quorum omnia non tenemus, quia deleta de libro vitæ præsenti operi non sunt inserenda (Guillaume de Tyr, l. VI, c. 5, p. 715). Guibert, p. 518-523, cherche à excuser Hugues-le-Grand et même Étienne de Chartres.