Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 12.djvu/85

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derniers ceux qui n’avaient rien à perdre purent seuls tirer quelque avantage de la révolution ; mais tous les autres furent réduits à l’état le plus déplorable ; nous pouvons en juger par les aventures de Nicétas. Son magnifique palais avait été réduit en cendres dans le second incendie, et cet infortuné sénateur, suivi de sa famille et de ses amis, se réfugia dans une petite maison qui lui restait encore auprès de l’église de Sainte-Sophie. Ce fut à la porte de cette maison que le marchand vénitien monta la garde sous l’habit d’un soldat, jusqu’au moment où Nicétas put sauver, par une fuite précipitée, la chasteté de sa fille et les débris de sa fortune. Ces malheureux fugitifs, nourris dans le sein de la prospérité, partirent à pied au cœur de l’hiver. Son épouse était enceinte, et la désertion de ses esclaves les força de porter eux-mêmes leur bagage sur leurs épaules. Ils exhortèrent leurs femmes, placées au centre, au lieu de peindre et d’orner leur visage, à le couvrir de boue pour en déguiser la beauté ; chaque pas les exposait à des insultes et à des dangers, et les menaces des étrangers leur paraissaient moins insupportables que l’insolence des plébéiens au niveau desquels ils se trouvaient maintenant réduits. Ils ne respirèrent en sûreté qu’à Sélymbrie, ville située à quarante milles de Constantinople, terme de leur douloureux pèlerinage. Ils rencontrèrent sur la route le patriarche seul, à peine vêtu, monté sur un âne et réduit à l’indigence apostolique qui, si