Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 13.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ques : ses généreuses invitations aux peintres de l’Italie et les récompenses qu’il leur accorda, sont l’indice d’un goût profane pour les arts[1]. Mais la religion et les lettres ne parvinrent pas à dompter ce caractère sauvage et sans frein. Je ne rappellerai pas et je crois faiblement l’histoire de ses quatorze pages, auxquels on ouvrit le ventre pour voir qui d’entre eux avait mangé un melon, ni ce conte de la belle esclave qu’il décapita lui-même, afin de prouver à ses janissaires que les femmes ne subjugueraient jamais leur maître. Le silence des Annales turques qui n’accusent d’ivrognerie que trois princes de la ligne ottomane[2], atteste sa sobriété ; mais la fureur et l’inflexibilité de ses passions sont incontestables. Il paraît hors de doute que dans son palais, ainsi qu’à la guerre, les motifs les plus légers le déterminaient à verser des ruisseaux de sang et que ses goûts contre nature déshonorèrent souvent les plus nobles d’entre ses jeunes captifs. Durant la guerre d’Albanie, il médita les leçons de son père,

  1. Le célèbre Gentile Bellino, qu’il avait fait venir de Venise, reçut de lui une chaîne et un collier d’or, avec une bourse de trois mille ducats. Je ne crois pas plus que Voltaire à l’histoire ridicule de cet esclave qu’on décapita pour faire voir au peintre le jeu des muscles.
  2. Ces empereurs ivrognes furent Soliman Ier, Sélim II et Amurath IV (Cantemir, p. 6.). Les sophis de la Perse offrent dans ce genre une liste plus longue et plus complète et dans le dernier siècle nos voyageurs européens assistèrent à leurs orgies et les partagèrent.