Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 13.djvu/72

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Mahomet, à son avénement à la couronne, l’avait confirmé dans la place de visir, avec les apparences de la faveur ; mais le vieux ministre savait bien qu’il marchait sur une glace fragile et glissante, qu’elle pouvait se rompre sous ses pas, et le plonger dans l’abîme. Son affection pour les chrétiens, peut-être innocente sous le règne précédent, lui avait fait donner le nom odieux de Gabour Ortachi ou de frère nourricier des infidèles[1]. Dominé par son avarice, il entretenait avec l’ennemi une correspondance vénale et criminelle, qui fut découverte et punie après la guerre. Lorsqu’il reçut pendant la nuit l’ordre de se rendre auprès du sultan, il embrassa sa femme et sas enfans qu’il craignait de ne plus revoir ; il remplit de pièces d’or une coupe, se rendit en hâte au palais, se prosterna devant le sultan, et, selon l’usage des Orientaux, lui offrit l’or qu’il avait apporté comme un léger tribut, gage de sa soumission et de sa reconnaissance[2]. « Je ne veux pas,

  1. Le président Cousin traduit le mot Συντροφος par celui de père nourricier ; il suit, il est vrai, la version latine ; mais dans sa précipitation il a négligé la note dans laquelle Ismaël Bouillaud (ad Ducam, c. 35) reconnaît et rectifie sa propre erreur.
  2. L’usage de ne jamais paraître qu’avec des présens devant son souverain ou devant son supérieur, est très-ancien parmi les Orientaux, et paraît analogue à l’idée de sacrifice, idée encore plus ancienne et plus universelle. Voyez des exemples de cette coutume en Perse, dans Ælien (Hist. Variar., l. I, c. 31, 32, 33).