Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 2.djvu/253

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

au rang des dieux, et designer le successeur que vous jugerez le plus digne de la pourpre impériale ; aucun de ceux dont le forfait ou le malheur a causé notre perte ne régnera sur nous[1]. » Les sénateurs romains n’avaient point été étonnés d’apprendre qu’un empereur encore venait d’être assassiné dans son camp ; ils se réjouirent en secret de la chute d’Aurélien. Mais lorsque la lettre modeste et respectueuse des légions eut été lue par le conseil en pleine assemblée, elle répandit parmi eux la surprise la plus agréable. Ils prodiguèrent à la mémoire de leur dernier souverain tous les honneurs que la crainte, peut-être l’estime, pouvait arracher. Dans les transports de leur reconnaissance ils rendirent aux fidèles armées de la république les actions de grâce que méritaient leur zèle et la haute idée qu’elles avaient de l’autorité légale du sénat pour le choix d’un empereur. Malgré cet hommage flatteur, les plus prudens de l’assemblée n’osaient exposer leur personne et leur dignité au caprice d’une multitude redoutable : à la vérité, la force des légions était le gage de leur sincérité, puisque ceux qui peuvent commander sont rarement réduits à la nécessité de dissimuler ; mais pouvait-on espérer qu’un repentir subit corrigerait des habitudes de révolte invétérées depuis quatre-vingts ans ? Si les soldats retombaient dans leurs séditions accoutumées, il était à craindre que leur

  1. Vopiscus, Hist. Aug., p. 222. Aurel.-Victor parle d’une députation formelle des troupes au sénat.