Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 2.djvu/74

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leurs terres, en cultivaient une très-petite portion d’une manière fort imparfaite, et se plaignaient ensuite de l’aridité et de la stérilité d’une contrée qui refusait de nourrir ses habitans. Lorsqu’une famine cruelle venait les convaincre de la nécessité des arts, ils n’avaient souvent alors d’autre ressource que d’envoyer au dehors le quart, ou peut-être le tiers de leur jeunesse[1]. Une possession et une jouissance assurées sont les liens qui attachent un peuple à sa patrie ; mais les Germains portaient avec eux ce qu’ils avaient de plus cher, et dès qu’ils voyaient briller l’espoir d’une conquête ou d’un riche butin, ils abandonnaient la vaste solitude des bois, et marchaient aux combats avec leurs troupeaux, leurs femmes et leurs enfans. Les nombreux essaims qui sortirent ou qui parurent sortir de la grande fabrique des nations, ont été multipliés par l’effroi des vaincus et par la crédulité des siècles suivans. Des faits ainsi exagérés ont insensiblement établi une opinion soutenue depuis par de très-habiles écrivains : on s’est imaginé que du temps de César et de Tacite le Nord était infiniment plus peuplé qu’il ne l’est de nos jours[2]. Des recherches plus exactes sur les causes

  1. Paul-Diacre, c. 1, 2, 3. Davila, Machiavel, et le reste de ceux qui ont suivi Paul-Diacre, n’ont point assez connu la nature de ces migrations, lorsqu’ils les ont représentées comme des entreprises concertées et régulières.
  2. Sir William Temple et M. de Montesquieu s’abandonnent sur ce sujet à la vivacité ordinaire de leur imagination.