Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 4.djvu/522

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peaux enflées de vent ; et, traînant leurs chevaux après eux, essayèrent, avec plus ou moins de succès, de traverser ainsi la rivière. Plusieurs furent engloutis par les vagues ; d’autres, qu’entraînait le courant, offrirent une proie facile à la cupidité ou à la cruauté des farouches Arabes, et la perte de l’armée, lors du passage du Tigre, ne fut pas inférieure à celle d’un jour de bataille. Dès que les Romains eurent débarqué sur la rive occidentale, ils furent délivrés des attaques des Barbares ; mais une marche de deux cents milles, sur les plaines de la Mésopotamie, leur fit souffrir les dernières extrémités de la faim et de la soif. Ils se virent obligés de parcourir un désert sablonneux qui, dans un espace de soixante-dix milles, n’offrait ni un brin d’herbe douce, ni un filet d’eau fraîche, et qui, dans toute son étendue, désolé, inhabitable, ne présentait pas une seule trace de créatures humaines, soit amies, soit même ennemies. Si l’on découvrait dans le camp quelques mesures de farine, vingt livres de ce précieux aliment étaient avidement achetées au prix de dix pièces d’or[1].

  1. On peut rappeler ici quelques vers où Lucain (Pharsale, IV, 95) décrit une détresse semblable éprouvée en Espagne par l’armée de César :

    Sæva fames aderat…
    Miles eget : toto censu non prodigus emit
    Exiguam Cererem. Proh lucri pallida tabes !
    Non deest prolato jejunus venditor auro.

    Voyez Guichardt (Nouveaux Mémoires Militaires, t. I, p. 379-382). Son analyse des deux campagnes d’Espagne