Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 6.djvu/148

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sant de honte, il montait sur le tribunal pour prononcer ou des jugemens ou des harangues travaillées. Dans d’autres occasions, il paraissait sur son cheval à la tête des légions, vêtu et armé comme un héros. Le mépris de la décence et des usages décèle toujours un esprit faible et déréglé ; et il ne paraît pas qu’Eutrope ait compensé l’extravagance de ses entreprises par un mérite supérieur ou par l’habileté de l’exécution. Les occupations de sa vie ne lui avaient permis ni l’étude des lois ni les exercices militaires ; ses gauches essais excitaient le mépris des spectateurs. Les Goths exprimaient leurs vœux pour que les armées romaines fussent toujours commandées par un semblable général ; et le nom du ministre était chargé d’un ridicule plus dangereux que la haine pour la réputation d’un homme public. Les sujets d’Arcadius se rappelaient avec indignation que cet eunuque difforme et décrépit[1], qui voulait si ridiculement singer l’homme, était né dans la servitude la plus abjecte ; qu’avant d’entrer dans le palais impérial, il avait été successivement acheté et revendu par un grand nombre de maîtres qui avaient

  1. La description que le poète fait de sa difformité (I, 110-125) est confirmée par le témoignage de S. Chrysostôme (t. III, p. 384, édit. Montfaucon), qui observe que lorsque le visage d’Eutrope était dépouillé de fard, il était cent fois plus laid et plus ridé qu’une vieille femme. Claudien remarque (I, 469) que chez les eunuques on ne remarquait presque point d’intervalle entre la jeunesse et la décrépitude ; et sa remarque était sans doute fondée sur l’expérience.