Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 6.djvu/460

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avec indifférence la destruction de leur patrie, ne s’accoutumaient point à la perte de leurs richesses personnelles. De ces vastes domaines considérés comme la cause originaire de la ruine de l’Italie[1], un tiers passa entre les mains des conquérans. Aux injustices on ajoutait l’insulte. La crainte de l’avenir aggravait les maux présens ; et comme on accordait des terres à tous les nouveaux essaims de Barbares, les sénateurs tremblaient de voir les arpenteurs s’approcher de leur meilleure ferme ou de leur maison de campagne favorite. Les moins malheureux étaient sans doute ceux qui se soumettaient sans murmure à un pouvoir auquel il était impossible de résister ; puisqu’ils désiraient de vivre, ils devaient une certaine reconnaissance au tyran qui leur permettait d’exister ; et puisqu’il était le maître absolu de leur fortune, la portion qu’il ne leur enlevait pas, devait être considérée comme un don de sa générosité[2]. Odoacre s’était solennellement engagé, pour prix de son élévation, à satisfaire aux demandes d’une multitude turbulente et licencieuse ; mais sa prudence et son humanité adoucirent le sort de l’Italie. Les rois des Barbares furent souvent peu obéis, souvent

  1. Verumque confitentibus, latifundia perdidere Italiam. Pline, Hist. nat., XVIII, 7.
  2. Tels sont les motifs de consolation, ou plutôt de patience, que Cicéron (ad Familiales, l. IX, epist. 17) offre à son ami Papirius Pœtus, sous le despotisme militaire de César. Cependant l’argument de vivere pulcherrimum duxi, convient mieux à un philosophe romain, qui pouvait choisir à son gré entre la vie et la mort.