Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 7.djvu/236

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tanée des deux factions. La cinquième année de son règne, Justinien célébra la fête des Ides de janvier : les clameurs des Verts mécontens ne cessaient de troubler les jeux. L’empereur, jusqu’à la vingt-deuxième course, sut se contenir dans une silencieuse gravité. À la fin, n’étant plus maître de son impatience, il commença par quelques mots dits avec violence, et par l’organe d’un crieur, le plus singulier dialogue[1] qui ait jamais eu lieu entre un prince et ses sujets. Les premiers cris furent respectueux et modestes ; les chefs accusèrent d’oppression les ministres subalternes, et souhaitèrent à l’empereur une longue vie et des victoires. « Insolens, s’écria Justinien, soyez patiens et attentifs ; juifs, samaritains et manichéens, gardez le silence. » Les Verts essayèrent encore d’exciter sa compassion : « Nous sommes pauvres, s’écrièrent-ils ; nous sommes innocens, nous sommes opprimés ; nous n’osons nous montrer dans les rues ; une persécution générale accable notre parti et notre couleur ; nous consentons à mourir, empereur, mais nous voulons mourir par vos ordres et à votre service. » Mais les invectives violentes et partiales qui continuaient à sortir de la bouche de l’empereur, dégradant à leurs yeux la majesté de la pourpre, ils abjurèrent leur serment

  1. Ce dialogue, conservé par Théophane, retrace le langage populaire ainsi que les mœurs de Constantinople au sixième siècle. Le grec est entremêlé de mots barbares dont Ducange ne peut pas toujours indiquer le sens ou l’étymologie.