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passions et leurs habitudes ; mais la philosophie doit dédaigner cette observation de Procope, que la Fortune ou la Providence veillèrent d’une manière particulière au salut de ces misérables. Il oubliait, ou peut-être se rappelait-il intérieurement que la peste avait frappé Justinien lui-même, et il eût été plus raisonnable et plus honorable d’attribuer la guérison de l’empereur à ce régime frugal qui, en pareille occasion, avait sauvé Socrate[1]. Durant la maladie du prince, l’habit des citoyens annonça la consternation publique ; et leur oisiveté et leur découragement occasionnèrent une disette générale dans la capitale de l’Orient.

Étendue et durée de la peste. A. D. 542-594.

La peste est toujours contagieuse : les personnes infectées répandent la maladie dans les poumons et l’estomac de ceux qui les approchent. Tandis que les philosophes adoptent ce fait, qui les remplit de terreur, il est singulier que le peuple le plus porté aux frayeurs imaginaires ait nié l’existence d’un danger si réel[2]. Les concitoyens de Procope étaient per-

  1. Socrate fut sauvé par sa tempérance lors de la peste d’Athènes. Aulu-Gelle, Nuits Attiques, II, l. Le Dr Mead attribue la salubrité des maisons religieuses à ce qu’elles sont séparées des autres, et que le régime y est plus frugal, p. 18, 19.
  2. Mead prouve, d’après Thucydide, Lucrèce, Aristote et l’expérience journalière, que la peste est contagieuse ; et il réfute (Préface, p. 2-13) l’opinion contraire des médecins français, qui se rendirent à Marseille en 1720 ; ces médecins français étaient cependant éclairés, et venaient de voir la peste enlever en peu de mois cinquante mille habitans