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Cela fait un très mauvais effet pour les mœurs : car rien (que je sache) n’inspire plus l’amour philosophique aux Romains. Et plus loin : Il y avait de mon temps à Rome, au théâtre de Capranica, deux petits châtrés, Mariotti et Chiostra, habillés en femmes, qui étaient les plus belles créatures que j’aie vues de ma vie, et qui auraient inspiré le goût de Gomorrhe aux gens qui ont le goût le moins dépravé à cet égard.

Un jeune Anglais, croyant qu’un de ces deux était une femme, en devint amoureux à la fureur, et on l’entretint dans cette passion plus d’un mois. Autrefois, à Florence, le grand duc Côme III avait fait le même règlement (?) par dévotion. Jugez quel effet cela devait produire à Florence, qui a été, à cet égard, la nouvelle Athènes ! (Voyages, I, pp. 220 et 221) et il cite à ce sujet le « Chassez le naturel, il revient au galop » d’Horace :

Naturam expelles furea, tamen usque recurret à quoi nous pourrons bien donner le sens que nous voudrons.

— Car je vous entends bien, à présent : le « naturel » pour vous c’est l’homosexualité ; et ce que l’humanité avait encore l’impertinence de considérer comme les rapports naturels et normaux, ceux entre l’homme et la femme, voilà pour vous l’artificiel. Allons ! osez le dire.

Il se tut un moment ; puis :

— Sans doute il est aisé de pousser à l’absurde ma pensée ; mais elle ne paraîtra plus si téméraire lorsque, dans mon livre, je la laisserai tout naturellement découler des prémisses que nous avons tout à l’heure posées.

Je le priai donc de revenir à ce livre qu’il me