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ISABELLE
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eussent ruiné d’un coup mon long rêve ; je n’en étais pas réveillée ; oui, comme en rêve, je suis descendue dans le jardin, épiant chaque bruit, chaque ombre ; j’attendais encore…

Elle recommença de sangloter :

— Non, je n’attendais plus, reprit-elle ; je cherchais à me tromper moi-même, et par pitié pour moi j’imitais celle qui attend. Je m’étais assise devant la pelouse, sur la plus basse marche du perron ; le cœur sec à ne pouvoir verser une larme ; et je ne pensais plus à rien, ne savais plus qui j’étais, ni où j’étais, ni ce que j’étais venue faire. La lune qui tout à l’heure éclairait le gazon disparut ; alors un frisson me saisit ; j’aurais voulu qu’il m’engourdît jusqu’à la mort. Le lendemain je tombai gravement malade et le médecin qu’on appela révéla ma grossesse à ma mère.

Elle s’arrêta quelques instants.

— Vous savez à présent ce que vous désiriez savoir. Si je continuais mon histoire, ce serait celle d’une autre femme où vous ne