Aller au contenu

Page:Gide - Isabelle.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
ISABELLE

pas ". Nous dûmes prendre la revanche sans elle ; le jeu manquait d’entrain. Au coin du feu, dans un fauteuil bas qu’on appelait communément « la berline », Monsieur Floche, bercé par le bruit de l’averse, s’était positivement endormi : dans la bergère, le baron qui lui faisait face se plaignait de ses rhumatismes et grognonnait.

— La partie de jacquet vous distrairait, répétait vainement l’abbé qui, faute d’adversaire, finit par se retirer, emmenant coucher Casimir.

Quand, ce soir-là, je me retrouvai seul dans ma chambre, une angoisse intolérable m’étreignit l’âme et le corps ; mon ennui devenait presque de la peur. Un mur de pluie me séparait du reste du monde, loin de toute passion, loin de la vie, m’enfermait dans un cauchemar gris, parmi d’étranges êtres à peine humains, à sang froid, décolorés et dont le cœur depuis longtemps ne battait plus. J’ouvris ma valise et saisis mon