Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


L’eau baissait depuis longtemps déjà quand j’arrivai. Parfois un grand frémissement en ridait soudain la surface, et les dos bruns des poissons inquiets transparaissaient. Dans les flaques du bord, des enfants pataugeurs capturaient un fretin brillant qu’ils jetaient dans des seaux pleins d’eau claire. L’eau de la mare, que l’émoi des poissons achevait de troubler, était terreuse et d’instant en instant plus opaque. Les poissons abondaient au-delà de toute espérance ; quatre valets de ferme en ramenaient en plongeant la main au hasard. Je regrettais que Marceline se fît attendre et je me décidais à courir la chercher lorsque quelques cris annoncèrent les premières anguilles. On ne réussissait pas à les prendre ; elles glissaient entre les doigts. Charles, qui jusqu’alors était resté près de son père sur la rive, n’y tint plus ; il ôta brusquement ses souliers, ses chaussettes, mit bas sa veste et son gilet, puis, relevant très haut son pantalon et les manches de sa chemise, il entra