Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cours je m’occupais, avec une hardiesse que l’on me reprocha suffisamment dans la suite, d’exalter l’inculture et d’en dresser l’apologie, je m’ingéniais laborieusement à dominer sinon à supprimer tout ce qui la pouvait rappeler autour de moi comme en moi-même. Cette sagesse, ou bien cette folie, jusqu’où ne la poussai-je pas ?

Deux de mes fermiers, dont le bail expirait à la Noël, désireux de le renouveler, vinrent me trouver ; il s’agissait de signer, selon l’usage, la feuille dite « promesse de bail ». Fort des assurances de Charles, excité par ses conversations quotidiennes, j’attendais résolument les fermiers. Eux, forts de ce qu’un fermier se remplace malaisément, réclamèrent d’abord une diminution de loyer. Leur stupeur fut d’autant plus grande lorsque je leur lus les « promesses » que j’avais rédigées moi-même, où non seulement je me refusais à baisser le prix des fermages, mais encore leur retirais certaines pièces de terre dont j’avais vu qu’ils ne faisaient aucun