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Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/140

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miers récoltaient les pommes ; elles tombaient, roulaient dans l’herbe épaisse, abondantes comme à nulle autre année ; les travailleurs n’y pouvaient point suffire ; il en venait des villages voisins ; on les embauchait pour huit jours ; Charles et moi, parfois nous amusions à les aider. Les uns gaulaient les branches pour en faire tomber les fruits tardifs ; on récoltait à part les fruits tombés d’eux-mêmes, trop mûrs, souvent talés, écrasés dans les hautes herbes ; on ne pouvait marcher sans en fouler. L’odeur montant du pré était âcre et douceâtre et se mêlait à celle des labours.

L’automne s’avançait. Les matins des derniers beaux jours sont les plus frais, les plus limpides. Parfois l’atmosphère mouillée bleuissait les lointains, les reculait encore, faisait d’une promenade un voyage ; le pays semblait agrandi ; parfois, au contraire, la transparence anormale de l’air rendait les horizons tout proches ; on les eût atteints d’un coup d’aile ; et je ne sais ce qui des deux