Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/147

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fatigue dont je savais la cause naturelle, du moins m’ingéniai-je à la diminuer, recevant souvent à sa place, ce qui ne m’amusait guère, et parfois rendant les visites, ce qui m’amusait moins encore.

Je n’ai jamais été brillant causeur ; la frivolité des salons, leur esprit, est chose à quoi je ne pouvais me plaire ; j’en avais pourtant bien fréquenté quelques-uns naguère — mais que ce temps était donc loin ! Que s’était-il passé depuis ? Je me sentais, auprès des autres, terne, triste, fâcheux, à la fois gênant et gêné… Par une singulière malchance, vous, que je considérais déjà comme mes seuls amis véritables, n’étiez pas à Paris et n’y deviez pas revenir de longtemps. Eussé-je pu mieux vous parler ? M’eussiez-vous peut-être compris mieux que je ne faisais moi-même ? Mais de tout ce qui grandissait en moi et que je vous dis aujourd’hui, que savais-je ? L’avenir m’apparaissait tout sûr, et jamais je ne m’en étais cru plus maître.