Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/151

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Louis qui m’attendait au café : entendu avec lui l’absurde cours de Théodore que j’ai complimenté à la sortie ; pour refuser son invitation du dimanche, j’ai dû l’accompagner chez Arthur ; avec Arthur, été voir une exposition d’aquarelles ; été déposer des cartes chez Albertine et chez Julie… Exténué, je rentre et vous trouve aussi fatiguée que moi-même, ayant vu Adeline, Marthe, Jeanne, Sophie… et quand le soir, maintenant, je repasse toutes ces occupations du jour, je sens ma journée si vaine et elle me paraît si vide, que je voudrais la ressaisir au vol, la recommencer heure après heure et que je suis triste à pleurer.

Pourtant je n’aurais pas su dire ni ce que j’entendais par vivre, ni si le goût que j’avais pris d’une vie plus spacieuse et aérée, moins contrainte et moins soucieuse d’autrui, n’était pas le secret très simple de ma gêne ; ce secret me semblait bien plus mystérieux : un secret de ressuscité, pensais-je, car je restais un étranger parmi les autres, comme