Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/189

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la montagne ; mais elle me montra le désir le plus vif de retourner en Normandie, prétendit que nul climat ne lui serait meilleur, et me rappela que j’avais à revoir ces deux fermes, dont je m’étais un peu témérairement chargé. Elle me persuada que je m’en étais fait responsable, et que je me devais d’y réussir. Nous ne fûmes pas plus tôt arrivés qu’elle me poussa donc de courir sur les terres… Je ne sais si, dans son amicale insistance, beaucoup d’abnégation n’entrait pas ; la crainte que, sinon, me croyant retenu près d’elle par les soins qu’il fallait encore lui donner, je ne sentisse pas assez grande ma liberté… Marceline pourtant allait mieux ; du sang recolorait ses joues ; et rien ne me reposait plus que de sentir moins triste son sourire ; je pouvais la laisser sans crainte.

Je retournai donc sur les fermes. On y faisait les premiers foins. L’air chargé de pollens, de senteurs, m’étourdit tout d’abord comme une boisson capiteuse. Il me sembla que, depuis l’an passé, je n’avais plus respiré, ou