Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/264

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vis de presque rien. Un aubergiste mi-français m’apprête un peu de nourriture. L’enfant, que vous avez fait fuir en entrant, me l’apporte soir et matin, en échange de quelques sous et de caresses. Cet enfant qui, devant les étrangers, se fait sauvage, est avec moi tendre et fidèle comme un chien. — Sa sœur est une Ouled-Naïl qui, chaque hiver, regagne Constantine où elle vend son corps aux passants. Elle est très belle et je souffrais, les premières semaines, que parfois elle passât la nuit près de moi. Mais, un malin, son frère, le petit Ali, nous a surpris couchés ensemble. Il s’est montré fort irrité et n’a pas voulu revenir de cinq jours. Pourtant il n’ignore pas comment ni de quoi vit sa sœur ; il en parlait auparavant d’un ton qui n’indiquait aucune gêne… Est-ce donc qu’il était jaloux ? – Du reste, ce farceur en est arrivé à ses fins ; car, moitié par ennui, moitié par peur de perdre Ali, depuis cette aventure je n’ai plus retenu cette fille. Elle ne s’en est pas fâchée ; mais