Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/78

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les repoussai. À vrai dire, ils me faisaient peur.

Un matin, j’eus une curieuse révélation sur moi-même : Moktir, le seul des protégés de ma femme qui ne m’irritât point (peut-être parce qu’il était beau), était seul avec moi dans ma chambre ; jusqu’alors je l’aimais médiocrement, mais son regard brillant et sombre m’intriguait. Une curiosité que je ne m’expliquais pas bien me faisait surveiller ses gestes. J’étais debout auprès du feu, les deux coudes sur la cheminée, devant un livre, et je paraissais absorbé, mais pouvais voir se refléter dans la glace les mouvements de l’enfant à qui je tournais le dos. Moktir ne se savait pas observé et me croyait plongé dans la lecture. Je le vis s’approcher sans bruit d’une table où Marceline avait posé, près d’un ouvrage, une paire de petits ciseaux, s’en emparer furtivement, et d’un coup les engouffrer dans son burnous. Mon cœur battit avec force un instant, mais les plus sages raisonnements ne purent faire