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qu’une joie qui lui parut très naturelle et qui lui plaisait d’autant plus qu’il semblait qu’elle me l’eût donnée ; mais sitôt après déjeuner je la quittai sous je ne sais quel prétexte et courus retrouver Abel.

— Hein ! qu’est-ce que je te disais ! s’écria-t-il en m’embrassant, dès que je lui eus fait part de ma joie. — Mon cher, je peux déjà t’annoncer que la conversation que j’ai eue ce matin avec Juliette a été presque décisive, bien que nous n’ayons presque parlé que de toi. Mais elle paraissait fatiguée, nerveuse… j’ai craint de l’agiter en allant trop loin et de l’exalter en demeurant trop longtemps. Après ce que tu m’apprends, c’en est fait ! Mon cher, je bondis sur ma canne et mon chapeau. Tu m’accompagnes jusqu’à la porte des Bucolin, pour me retenir si je m’envole en route : je me sens plus léger qu’Euphorion… Quand Juliette saura que ce n’est qu’à cause d’elle que sa sœur te refuse son consentement ; quand, aussitôt, je ferai ma demande… Ah ! mon ami, je vois déjà mon père, ce soir,