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Page:Gide - La Porte étroite, 1909.djvu/226

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la porte étroite

épousée, combien il l’aimait et ce que d’abord elle avait été pour lui.

— Papa, lui ai-je dit enfin, je te supplie de me dire pourquoi tu me racontes cela ce soir — ce qui te fait me raconter cela précisément ce soir…

— Parce que, tout à l’heure, quand je suis rentré dans le salon, et que je t’ai vue, comme tu étais, étendue sur le canapé, un instant j’ai cru revoir ta mère.

Si j’insistais ainsi, c’est que ce même soir… Jérôme lisait par-dessus mon épaule, debout, appuyé contre mon fauteuil, penché sur moi. Je ne pouvais le voir, mais sentais son haleine et comme la chaleur et le frémissement de son corps. Je feignais de continuer ma lecture, mais je ne comprenais plus ; je ne distinguais même plus les lignes ; un trouble si étrange s’était emparé de moi, que j’ai dû me lever de ma chaise, en hâte, tandis que je le pouvais encore. J’ai pu quitter quelques instants la pièce sans qu’heureusement il se soit rendu compte de rien… Mais quand un peu plus tard, seule dans le salon, je m’étais étendue sur ce canapé où papa trouvait que je