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la porte étroite

— Oui ; c’est de cela que je voulais te parler, mon Jérôme.

— Maman ! dis-je en sanglotant : tu crois qu’elle m’aime, n’est-ce pas ?

— Oui, mon enfant. Elle répéta plusieurs fois, tendrement : Oui, mon enfant. Elle parlait péniblement. Elle ajouta : Il faut laisser faire au Seigneur. Puis, comme j’étais incliné près d’elle, elle posa sa main sur ma tête, dit encore :

— Que Dieu vous garde, mes enfants ! Que Dieu vous garde tous les deux, puis tomba dans une sorte d’assoupissement dont je ne cherchai pas à la tirer.

Cette conversation ne fut jamais reprise ; le lendemain, ma mère se sentit mieux ; je repartis pour mes cours, et le silence se referma sur cette demi-confidence. Du reste, qu’eussé-je appris davantage ? Qu’Alissa m’aimât, je n’en pouvais douter un instant. Et quand je l’eusse fait jusqu’alors, le doute eût disparu pour jamais de mon cœur lors du triste événement qui suivit.