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la porte étroite

parvenus à ce point du jardin d’où j’avais naguère involontairement entendu la conversation qu’Alissa avait eue avec son père. Il me vint brusquement à la pensée que peut-être Alissa, que j’avais vue sortir dans le jardin, était assise dans le rond-point et qu’elle pouvait également bien nous entendre ; la possibilité de lui faire écouter ce que je n’osais lui dire directement me séduisit aussitôt ; amusé par mon artifice, haussant la voix :

— Oh ! m’écriai-je, avec cette exaltation un peu pompeuse de mon âge, et prêtant trop d’attention à mes paroles pour entendre à travers celles de Juliette tout ce qu’elle ne disait pas… Oh ! si seulement nous pouvions, nous penchant sur l’âme qu’on aime, voir en elle, comme en un miroir, quelle image nous y posons ! lire en autrui comme en nous-mêmes, mieux qu’en nous-mêmes ! Quelle tranquillité dans la tendresse ! Quelle sécurité dans l’action ! Quelle pureté dans l’amour !…

J’eus la fatuité de prendre pour un effet de