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la porte étroite

Et sa voix en me disant cela était à la fois calme et triste ; mais le sourire qui l’illuminait restait si sereinement beau que je prenais honte de mes craintes et de mes protestations ; il me semblait alors que d’elles seules vînt cet arrière-son de tristesse que je sentais au fond de sa voix. Sans aucune transition je commençai à parler de mes projets, de mes études et de cette nouvelle forme de vie de laquelle je me promettais tant de profit. L’École Normale n’était pas alors ce qu’elle est devenue depuis peu ; une discipline assez rigoureuse ne pesait qu’aux esprits indolents ou rétifs ; elle favorisait l’effort d’une volonté studieuse. Il me plaisait que cette habitude quasi-monacale me préservât d’un monde qui, du reste, m’attirait peu et qu’il m’eût suffi qu’Alissa pût craindre pour m’apparaitre haïssable aussitôt. Miss Ashburton gardait à Paris l’appartement qu’elle occupait d’abord avec ma mère. Ne connaissant guère qu’elle à Paris, Abel et moi passerions quelques heures de chaque dimanche auprès