Page:Gide - Le Voyage d’Urien, Paludes.djvu/175

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et d'Angèle, je tâchai de l'inciter à parler :

« Quelle monotonie! recommençai-je - après un silence. Pas un événement! -Il faudrait tâcher de remuer un peu notre existence. Mais on n'invente pas ses passions! -- D'ailleurs je ne connais qu'Angèle; - elle et moi nous ne nous sommes jamais aimés d'une façon bien décisive : - Ce que je lui dirai ce soir, j'aurais aussi bien pu le lui dire la veille; il n'y a pas d'acheminement... »

J'attendais entre chaque phrase. Il se taisait. Alors je continuai machinalement :

« Moi, cela m'est égal, parce que j'écris Paludes, - mais ce qui m'est insupportable c'est qu'elle ne comprenne pas cet état... C'est même ce qui m'a donné l'idée d'écrire Paludes. »

Hubert à la fin s'excita : « Pourquoi veux-tu donc la troubler, si elle est heureuse comme cela?

- Mais elle n'est pas heureuse, mon cher ami; elle croit l'être parce qu'elle ne se rend pas compte de son état; tu penses bien que si à la médiocrité se joint la cécité, c'est encore plus triste.