Page:Gide - Le retour de l'enfant prodigue, paru dans Vers et prose, mars à mai 1907.djvu/5

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naît aussitôt. Ses bras s’ouvrent ; l’enfant alors devant lui s’agenouille et, cachant son d’un bras, crie à lui, levant vers le pardon sa main droite :

— Mon père ! mon père, j’ai gravement péché contre le ciel et contre toi ; je ne suis plus digne que tu m’appelles ; mais du moins, comme un de tes serviteurs, le dernier, dans un coin de notre maison, laisse-moi vivre…

Le père le relève et le presse :

— Mon fils ! que le jour où tu reviens à moi soit béni ! — et sa joie, qui de son cœur déborde, pleure ; il relève la tête de dessus le front de son fils qu’il baisait, se tourne vers les serviteurs :

— Apportez la plus belle robe ; mettez des souliers à ses pieds, un anneau précieux à son doigt. Cherchez dans nos étables le veau le plus gras, tuez-le ; préparez un festin de joie, car le fils que je disais mort est vivant.

Et comme la nouvelle déjà se répand, il court ; il ne veut pas laisser un autre dire :

— Mère, le fils que nous pleurions nous est rendu.

La joie de tous montant comme un cantique fait le fils aîné soucieux. S’assied-il à la table commune, c’est que le père en l’y invitant et en le pressant l’y contraint. Seul entre tous les convives, car jusqu’au moindre serviteur est convié, il montre un front courroucé : Au pécheur repenti, pourquoi plus d’honneur qu’à lui-même, qu’à lui qui n’a jamais péché ? Il préfère à l’amour le bon ordre. S’il consent à paraître au festin, c’est que, faisant crédit à son frère, il peut lui prêter joie pour un soir ;