Page:Gide - Le retour de l'enfant prodigue, paru dans Vers et prose, mars à mai 1907.djvu/7

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que j’attends pour m’élancer vers la demeure ; pour entrer ? — On m’attend. Je vois déjà le veau gras qu’on apprête… Arrêtez ! ne dressez pas trop vite le festin ! — Fils prodigue, je songe à toi ; dis-moi d’abord ce que t’a dit le Père, le lendemain, après le festin du revoir. Ah ! malgré que le fils aîné vous souffle, Père, puissé-je entendre votre voix, parfois, à travers ses paroles !

— Mon fils, pourquoi m’as-tu quitté ?

— Vous ai-je vraiment quitté ? Père ! n’êtes vous pas partout ? jamais je n’ai cessé de vous aimer.

— N’ergotons pas. J’avais une maison qui t’enfermait. Elle était élevée pour toi. Pour que ton âme y puisse trouver un abri, un luxe digne d’elle, du confort, un emploi, des générations travaillèrent. Toi, l’héritier, le fils, pourquoi t’être évadé de la Maison ?

— Parce que la Maison m’enfermait. La Maison, ce n’est pas Vous, mon Père.

— C’est moi qui l’ai construite, et pour toi.

— Ah ! Vous n’avez pas dit cela, mais mon frère. Vous, vous avez construit toute la terre, et la Maison et ce qui n’est pas la Maison. La Maison, d’autres que vous l’ont construite ; en votre nom, je sais, mais d’autres que vous.

— L’homme a besoin d’un toit sous lequel reposer sa tête. Orgueilleux ! Penses-tu pouvoir dormir en plein vent ?

— Y faut-il tant d’orgueil ? de plus pauvres que moi l’ont bien fait.

— Ce sont les pauvres. Pauvre, tu ne l’es pas. Nul ne