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Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/195

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rougir, fût-ce de la boutonnière. Puis, se tournant vers Lilian : — Savez-vous qu’ils sont rares, de nos jours, ceux qui atteignent la quarantaine sans vérole et sans décorations !

Lilian sourit en haussant les épaules :

— Pour faire un mot, il consent à se vieillir !… Dites donc : c’est une citation de votre prochain livre ? Il sera frais… Descendez toujours ; je prends mon manteau et je vous rejoins.

Je croyais que vous ne vouliez plus le revoir ? demanda Vincent à Robert, dans l’escalier.

— Qui ? Brugnard ?

— Vous le trouviez si bête…

— Cher ami, — répondit Passavant en prenant son temps, arrêté sur une marche et retenant Molinier le pied levé, car il voyait venir Lady Griffith et souhaitait qu’elle l’entendît, — apprenez qu’il n’est pas un de mes amis qui, à la suite d’une fréquentation un peu longue, ne m’ait donné des gages d’imbécillité. Je vous certifie que Brugnard a résisté à l’épreuve plus longtemps que beaucoup d’autres.

— Que moi, peut-être ? reprit Vincent.

— Ce qui ne m’empêche pas de rester votre meilleur ami ; vous voyez bien.

— Et c’est là ce qu’à Paris on appelle de l’esprit, dit Lilian qui les avait rejoints. Faites attention, Robert : il n’y a rien qui fane plus vite !

— Rassurez-vous, ma chère : les mots ne se fanent que quand on les imprime !

Ils prirent place dans l’auto, qui les emmena.