Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/251

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sieurs jours dans son tiroir. Il s’amusait à me la passer, pour voir si j’y serais pris. J’allais l’accepter, ma parole ! mais, comme il est honnête, il m’a détrompé ; puis me l’a laissée pour cinq francs. Il voulait la garder pour la montrer à ce qu’il appelle « les amateurs ». J’ai pensé qu’il ne saurait y en avoir de meilleur que l’auteur des Faux-Monnayeurs ; et c’est pour vous la montrer que je l’ai prise. Mais maintenant que vous l’avez examinée, rendez-la-moi ! Je vois, hélas ! que la réalité ne vous intéresse pas.

— Si, dit Édouard ; mais elle me gêne.

— C’est dommage, reprit Bernard.


Journal d’Édouard


« (Ce même soir.) — Sophroniska, Bernard et Laura m’ont questionné sur mon roman. Pourquoi me suis-je laissé aller à parler ? Je n’ai dit que des âneries. Interrompu heureusement par le retour des deux enfants ; rouges, essoufflés, comme s’ils avaient beaucoup couru. Sitôt entrée, Bronja s’est précipitée sur sa mère ; j’ai cru qu’elle allait sangloter.

« — Maman, s’écria-t-elle, gronde un peu Boris. Il voulait se coucher tout nu dans la neige.

« Sophroniska a regardé Boris qui se tenait sur le pas de la porte, le front bas et avec un regard fixe qui semblait presque haineux ; elle a semblé ne pas