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Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/267

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« Comment ai-je pu acquiescer lorsque Sophroniska m’a dit que je n’avais rien d’un mystique ? Je suis tout prêt à reconnaître avec elle que, sans mysticisme, l’homme ne peut réussir rien de grand. Mais n’est-ce pas précisément mon mysticisme qu’incrimine Laura, lorsque je lui parle de mon livre ?… Abandonnons-leur ce débat.

« Sophroniska m’a reparlé de Boris, qu’elle est parvenue, croit-elle, à confesser entièrement. Le pauvre enfant n’a plus en lui le moindre taillis, la moindre touffe où s’abriter des regards de la doctoresse. Il est tout débusqué. Sophroniska étale au grand jour, démontés, les rouages les plus intimes de son organisme mental, comme un horloger les pièces de la pendule qu’il nettoie. Si, après cela, le petit ne sonne pas à l’heure, c’est à y perdre son latin. Voici ce que Sophroniska m’a raconté :

« Boris, vers l’âge de neuf ans, a été mis au collège, à Varsovie. Il s’est lié avec un camarade de classe, un certain Baptistin Kraft, d’un ou deux ans plus âgé que lui, qui l’a initié à des pratiques clandestines, que ces enfants, naïvement émerveillés, croyaient être « de la magie ». C’est le nom qu’ils donnaient à leur vice, pour avoir entendu dire, ou lu, que la magie permet d’entrer mystérieusement en possession de ce que l’on désire, qu’elle illimite la puissance, etc. Ils croyaient de bonne foi avoir découvert un secret qui consolât de l’absence réelle par la présence illusoire, et s’hallucinaient à plaisir et s’extasiaient sur un vide que leur imagination