Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/354

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Olivier ne répondit pas aussitôt. Il songeait avec désespoir qu’il avait promis à Passavant d’aller le retrouver chez le futur imprimeur d’Avant-Garde, à quatre heures. Que n’aurait-il donné pour être libre !

— Je voudrais bien ; mais je suis pris.

Rien ne parut au dehors, de sa détresse ; et Bernard répondit :

— Tant pis.

Sur quoi les deux amis se quittèrent.

Olivier n’avait rien dit à Bernard de tout ce qu’il s’était promis de lui dire. Il craignait de lui avoir déplu. Il se déplaisait à lui-même. Si fringant encore ce matin, il marchait à présent la tête basse. L’amitié de Passavant, dont d’abord il était si fier, le gênait ; car il sentait peser sur elle la réprobation de Bernard. Ce soir, à ce banquet, s’il y retrouvait son ami, sous les regards de tous, il ne pourrait pas lui parler. Ce ne pouvait être amusant, ce banquet, que s’ils s’étaient préalablement ressaisis l’un l’autre. Et, dictée par la vanité, quelle fâcheuse idée il avait eue, d’y attirer également l’oncle Édouard ! Auprès de Passavant, entouré d’aînés, de confrères, de futurs collaborateurs d’Avant-Garde, il lui faudrait parader ; Édouard allait le méjuger davantage ; le méjuger sans doute à jamais… Si du moins il pouvait le revoir avant ce banquet ! le revoir aussitôt ; il se jetterait à son cou ; il pleurerait peut-être ; il se raconterait à lui… D’ici quatre heures, il a le temps. Vite, une auto.