Page:Gide - Les Limites de l’art, 1901.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.




Dois-je m’excuser ici, Messieurs, de ne m’apprêter à vous dire rien que de banal et de simple ? Comment choses si délibérément générales ne seraient-elles pas très simples et connues ? Et si j’ose pourtant les redire c’est que, en art, il est bon, je crois, que chaque génération nouvelle se pose à nouveau le problème ; qu’elle n’accepte jamais toute trouvée la solution que ceux d’avant-hier et d’hier lui en apportent, et qu’elle n’oublie point que tous ceux du passé, qu’elle admire, sont précisément ceux qui l’ont eux-mêmes, d’abord et péniblement recherchée. Le Laocoon de Lessing est œuvre qu’il est bon tous les trente ans de redire ou de contredire. Une grande clairvoyance fut toujours aux grandes époques ; elle semble encore souvent nous manquer ; trop amoureux souvent de ce que nous possédons déjà, nous perdons l’aigu sentiment de ce qui nous manque, de nos défauts ; et je vois hélas ! aujourd’hui plus d’artistes que d’œuvres d’art, car le goût de celles-ci s’est perdu, et l’artiste trop souvent croit avoir fait suffisamment quand, dans sa peinture ou ses vers, il a montré qu’il est artiste, considérant la part de la raison, de l’in-