Page:Gide - Les Limites de l’art, 1901.djvu/26

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d’un excès que pour nous précipiter vers un autre ? Qu’est-ce qu’un artiste individualiste ? Qu’est-ce qu’un artiste anti-individualiste ? Qu’il laisse à d’autres les « convictions ». Elles lui coûtent trop cher à lui et elles le déforment trop. L’artiste n’est ni d’un camp ni de l’autre ; il est à tout point de rencontre ; il est à tout point de conflit.


L’art est une chose tempérée. Et certes je ne veux non plus dire par là que l’œuvre d’art la plus accomplie serait celle qui se tiendrait à la plus égale distance de l’idéalisme et du réalisme ; non certes ! et l’artiste peut bien se rapprocher autant qu’il osera d’un des deux pôles, mais à condition qu’il ne quittera pas du talon le second ; un sursaut de plus, il perd pied.

« On ne montre pas sa grandeur, disait Pascal, pour être à une extrémité, mais en touchant les deux à la fois et en remplissant l’entre-deux ».

Et les limites de l’art que nous renoncions vite à chercher tant que nous les demandions extérieures, ces limites, Messieurs, qui ne sont point obstacles ni défi, nous les découvrons tout intimes : ce sont les limites d’extension.

Il est un point d’extrême tension, passé lequel l’œuvre brusquement cède et se décompose, — ou n’a jamais été composée. — Les limites ne sont qu’en l’artiste ; heureux celui qui les élargit en lui, qui les recule et qui, comme devrait vouloir chacun d’eux, soumet le plus possible à lui, le plus possible de nature.