Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/109

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puis — Guzman chanta la

RONDE
DES MALADIES
dont je ne rapporterai que la fin :

… À Damiette, je pris les fièvres.
À Singapore, je vis mon corps s’orner d’efflorescences blanches et mauves.
À la Terre de Feu, toutes mes dents tombèrent.
Sur le Congo, un caïman me mangea un pied.
Dans les Indes, me prit une maladie de langueur,
Qui fit ma peau admirablement verte et comme transparente ;
Mes yeux semblaient sentimentalement agrandis.

Je vivais dans une cité lumineuse ; tous les soirs il s’y commettait tous les crimes, et pourtant, non loin du port, continuaient de flotter des galères que l’on ne parvenait pas à remplir. Un matin je partis sur l’une d’elles, le gouverneur de la ville ayant mis à ma fantaisie la force de quarante rameurs. Quatre jours et trois nuits nous naviguâmes ; ils usèrent pour moi leurs forces admirables. Cette fatigue monotone endormait leur turbulente vigueur ; ils se lassaient à remuer sans fin l’eau des vagues ; ils devenaient plus beaux, rêveurs, et leurs souvenirs du passé s’en allaient sur la mer immense. Et nous entrâmes vers le soir dans une ville sillonnée de canaux, une ville couleur de l’or ou de la cendre et qu’on nommait Amsterdam ou Venise, suivant qu’elle était brune ou dorée.