Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/156

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j’ai dormi balancé par le vent ; — j’ai dormi balancé par les flots ; couché sur le pont des navires ; ou sur les couchettes étroites des cabines, en face de l’œil stupide du hublot. — Il y eut des couches où m’attendaient des courtisanes ; d’autres où j’attendais de jeunes garçons. Il y en avait tendues d’étoffes tellement molles qu’elles semblaient s’instrumenter, ainsi que mon corps, pour l’amour. — J’ai dormi dans des camps, sur des planches, où le sommeil était comme une perdition. J’ai dormi dans des wagons en marche, sans me départir un instant du sentiment du mouvement.

Nathanaël, il y a d’admirables préparatifs au sommeil, il y a d’admirables réveils ; mais il n’y a pas d’admirables sommeils et je n’aime le rêve que tant que je le crois réalité. — Car le plus beau sommeil ne vaut pas

le moment où l’on s’en réveille

Je pris l’habitude de dormir en face de ma fenêtre grande ouverte et comme immédiatement sous le ciel. Dans les trop chaudes nuits de juillet, j’ai dormi presque nu sous la lune : dès l’aube le chant des merles me réveillait ; je me