Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/127

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doute le travail même le plus humble a aussi ses joies, les joies du devoir accompli et d’une loi naturelle volontairement acceptée, mais ces joies austères ne sont savourées que par quelques natures d’élite et c’est, semble-t-il, tomber dans l’optimisme le plus chimérique de croire qu’il suffirait de changer le milieu pour que tous les hommes travaillent sans autre mobile que le plaisir de travailler.

Il faut pour déterminer l’homme à travailler et pour contre-balancer le sentiment de peine que fait naître tout travail, une force supérieure quelconque. Autrefois pour l’esclave, c’était le fouet, la contrainte. Pour l’altruiste du XXe siècle, sera-ce le sentiment du devoir librement rempli ? Peut-être ! Mais quant à l’homme du temps présent, c’est l’intérêt.

Tout homme qui travaille est soumis à l’action de deux forces opposées d’une part le désir de se procurer une jouissance quelconque (c’est ce qu’on appelle l’intérêt personnel), d’autre part le désir de se soustraire à la peine que le travail lui cause. Suivant que l’un ou l’autre de ces deux mobiles fera pencher le plateau de la balance, il poursuivra son travail ou s’arrêtera.

Comme l’a fait remarquer très ingénieusement Stanley Jevons, la peine supportée par le travailleur va toujours croissant, à mesure que le travail se prolonge, tandis que la satisfaction qu’il en attend va sans cesse diminuant, au fur et à mesure que ses besoins les plus pressants commencent à être satisfaits, — en sorte qu’entre ces deux désirs, celui

    séquence de la chute, comme une punition, Ils ne connaissent pas très bien leurs textes. En réalité, la Bible fait si peu du travail une conséquence de la chute qu’elle nous représente Dieu comme le premier des travailleurs, puisqu’il travaille six jours et se repose le septième ! l’institution du jour du repos (qui suppose nécessairement le travail) est antérieure à la chute. L’homme, nous dit-elle expressément, avait été placé dans le jardin d’Eden « pour le cultiver ».
    La doctrine qu’on trouve dans la Bible c’est tout au contraire celle-ci : dans le monde tel qu’il était sorti des mains du Créateur, le travail était attrayant, mais, par la faute de l’homme, le travail a perdu le caractère d’activité joyeuse et vivifiante qu’il tenait de la volonté de Dieu.