Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/148

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chaudière, ou ne soient réduits à l’état de bouillie par quelque engrenage. La construction de chaque kilomètre de voie ferrée, par exemple, coûtait en moyenne, du moins au début, une vie d’homme et l’exploitation de chaque 100 kil. cinq à six accidents annuellement. Comme il existe de par le monde plus de 600.000 kil. de voies ferrées, il a donc fallu sacrifier 600.000 hommes pour les construire et il faut compter une trentaine de mille tués ou blessés tous les ans pour les exploiter. L’empire romain ou celui de Tamerlan n’ont pas coûté davantage !

Mais surtout, il suffit d’analyser ces chiffres fantastiques pour voir qu’il y a beaucoup à en rabattre. La presque totalité de cette armée de chevaux-vapeur, les quatre cinquièmes, sont affectés uniquement au transport, sous forme de locomotives ou de bateaux à vapeur[1]. Or, ceux-ci ont produit certainement une révolution considérable en reculant les limites que la distance imposait aux dépècements des individus, à l’échange des produits, à la communication des idées, en portant au plus haut point la solidarité du genre humain — et à ce point de vue ils rendent un service moral dont on ne saurait exagérer l’importance — mais on ne saurait dire précisément qu’ils multiplient les produits[2].

Les seuls produits dont la multiplication pût apporter une amélioration notable dans la condition des hommes, ce serait les produits agricoles, car la première condition du bien-être matériel, c’est de se nourrir et, s’il se peut, de se bien nourrir. Or, quels ont été les effets du machinisme sur cette industrie  ? Il n’y a guère que 100.000 chevaux-vapeur employés dans l’agriculture (1,7 %), et encore, ne faudrait-il pas croire que tous aient pour résultat une augmentation de produits. Les charrues défonceuses, les machines pour l’irriga-

  1. Sur 5.735.000 chevaux-vapeur en France (en 1893), les locomotives en représentaient 4 millions et les bateaux à vapeur 700.000, donc 82 %.
  2. Ils les multiplient pour le moment en les apportant des pays d’outremer, mais il est clair que c’est là une situation provisoire et qui tient simplement à ce que ces pays sont encore déserts et n’ont pas besoin de garder pour leur consommation tout ce qu’ils produisent.