Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/193

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comme celle des animaux, a été d’abord instinctive, puis coercitive, mais jamais, contrairement à la fameuse théorie de Rousseau, le résultat d’un « contrat social ».

La forme la plus naturelle, et sans doute la première de toutes, a été l’union des sexes et la famille qui en dérive. On dira peut-être qu’elle n’a aucun caractère économique ? C’est une erreur. Il semble au contraire que le mariage ou plutôt le ménage a été au début une association surtout économique. Quand on demandait aux Indiens de l’Amérique du Nord pourquoi ils se mariaient, ils répondaient « parce que nos femmes vont chercher le bois, l’eau, les aliments et portent tout notre bagage[1] ». Et il est même très probable que c’est ce caractère économique qui a conféré au mariage le caractère permanent que l’instinct sexuel ou même l’instinct paternel aurait été impuissant a lui donner.

L’association est devenue ensuite coercitive sous la forme d’esclavage. Nous avons déjà dit (p. 165) que l’esclavage doit être considéré comme un simple élargissement de la famille primitive déterminé par des causes économiques, le besoin de constituer une association plus puissante. Du reste il n’y a pas à s’étonner, dans un temps où les femmes elles-mêmes étaient souvent le fruit de la conquête (enlèvement des Sabines), si la conquête a servi aussi à annexer à la famille des travailleurs étrangers. D’ordinaire ils finissaient par devenir des membres adoptifs de la famille, ainsi qu’on peut le voir aussi bien dans les tragédies grecques qui datent de 2500 ans que dans les récits de voyage au Maroc aujourd’hui.

C’est par cette association coopérative imposée que les hommes d’autrefois ont pu élever les murs Cyclopéens ou les pyramides d’Égypte ou ébranler les galères à trois et quatre rangs de rames[2].

  1. Eyre, cité par Starke, La famille primitive. On peut trouver du reste la confirmation de ce fait chez les Arabes polygames, les Bassoutos de l’Afrique australe, etc.
  2. Des bas-reliefs égyptiens nous montrent des centaines d’hommes attelés à un même câble et s’ébranlant en mesure au rhythme d’un instrument d’airain.