Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/408

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Or il faut bien avouer que dans nos sociétés modernes presque tous les traits fâcheux que nous venons d’indiquer se retrouvent encore — quoique pourtant atténués si on les compare aux sociétés antiques.

Ces inégalités d’abord sont excessives et dépassent de beaucoup celles qui résultent de la nature. Les différences qui peuvent exister entre la taille d’un géant et celle d’un nain, entre la force musculaire de l’homme le plus robuste et celle du plus débile — probablement même entre la capacité intellectuelle d’un homme de génie et celle d’un esprit borné, si on pouvait les mesurer à quelque dynamomètre — ne seraient que peu de choses à côté de la prodigieuse différence qui peut exister entre un pauvre et un riche. La majorité des familles qui vivent dans un pays comme la France (un de ceux pourtant où l’aisance est la plus répandue) doit se contenter d’un revenu inférieur à 1.000 francs : or, il y a des fortunes en ce monde qui se chiffrent par centaines de millions de francs. Quelques Américains même ont dépassé le milliard, ce qui représente pour un seul homme un revenu égal à celui qui pourrait faire vivre 40 ou 50.000 familles. Personne n’oserait prétendre pourtant, pas même un quelconque de ces milliardaires eux-mêmes, que leur intelligence

    les maisons très pauvres. À ce compte, un homme pauvre a donc quatre à cinq fois plus de chances de mourir qu’un homme riche.
    M. Leroy-Beaulieu, dans son livre sur la Répartition des richesses (Ch. du Sisyphisme et du Paupérisme), établit une sorte de compensation entre les maux résultant de l’indigence et ceux résultant de la maladie ou des douleurs morales : « Qu’est-ce que le nombre des indigents en comparaison de celui des êtres humains qui sont atteints d’infirmités de maladies incurables ou organiques comme la scrofule et la phtisie ? Qu’est-ce surtout en comparaison du nombre plus grand encore d’hommes qui sont tourmentés de cuisantes douleurs morales ? Certes l’indigence est un mal, mais pour un esprit réfléchi c’est encore un des plus bénins, un des moins étendus qui frappent les sociétés civilisées ». L’éminent économiste oublie que la pauvreté est par elle-même une cause de « très cuisantes douleurs morales », une cause très active aussi de « scrofule et de phtisie », et que par conséquent ce n’est pas dans les deux plateaux opposés de la balance que la Fortune a placé les maux qui affligent les hommes, mais qu’elle semble au contraire les avoir réunis dans le même plateau ! Le XIIIe arrondissement de Paris, le plus pauvre, compte 812 tuberculeux ; le VIIIe, le plus riche, 178 : cinq fois moins !